La Peau cette inconnue
La peau, cette inconnue – un chef d’œuvre inconnu
Peau à peau
à la naissance
La venue au jour dans un grand vide est compensée dans sa violence par un contact à la peau.
Chaude, éprouvée, transpirante, familière, celle de la mère, rassurante,
béante sur le monde.
Un jour
Peau de chagrin
S'atrophie dans les désirs réduisant ta vie,
Remplit ta vie,
Peau maudite.
Désirée puis maudite
Épuisée puis destructrice
Sensible puis froide
Douce puis âpre
Fraîche puis fripée
Parfumée puis pourrie
La chair est faible.
La peau se défait.
Une défaite remportée par avance.
De troubles en trous noirs
Ta peau
Dépouille sur le squelette de nos amours,
mémoire des contacts vivants,
plus jamais je ne la toucherai,
ogre de mes nuit
Inconnue après milliers d'explorations,
Jamais plus l'île de mon errance.
Furtive, échappant à tout assaut, elle n'est que surface,
Extra protection surface
Je la découvre malgré tout et, je vois la beauté sans filtres.
Je la vois, lueur étincelante dans l'atelier froid réchauffé par une toison de tigre étalée au sol devant une toile où se distinguent les contours parfaits d'un pied de femme, nu, délicat, cambré. Le reste du corps manque.
Autour, un flou
La plus belle chose ayant jamais été créée jusqu'alors.
Sublime voile à ta chair, avec ses aspérités, son grain unique, sa texture fine, son odeur désarmante.
Impossible à retranscrire en matières, en mots
Quand tu ouvres les yeux sur moi, je voudrais être le soleil à ta fenêtre,
la lumière que tu choisis.
Je connais ton visage,
la moindre de tes veines,
le rythme de ton souffle,
le moindre de tes doutes,
un secret sous cet épiderme aimé jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Dans le clair-obscur de l'atelier, plantée là, ta simple nudité me violente au regard de la fourrure inerte du tigre.
Voiler ma face ou y mettre le feu, sous ma peau, dans mes yeux.
Je ne vois plus rien, ta chair fait écran à ma vision, je ne peux plus penser, elle m'intoxique d'une douceur inopérante qui t'est propre.
Comment m'en tirer ?
Immobiles, statues de marbre parmi les couleurs calmes et éparses, seuls nos yeux brillent dans cette bulle figée.
Si tu esquisses un seul mouvement (cutané) mon âme est sauve, je brûlerai le contrat, je n'irai pas jusqu'au bout de mes désirs, je réduirai ce cuir à néant, puis, plus Rien.
Tu ne bouges pas.
Rien ne bouge dans ce corps.
Y-a t-il une personne là-dessous ?
Sous ce derme.
Le tigre paraît plus vivant que toi.
Qui es-tu, créature divine ?
Création de mon imagination ?
Je vais rendre mon dernier souffle, perdre mon unique vie pour ta peau, cette inconnue.
Inachevée
© SP
( La_Peau_cette_inconnue en pdf )
*D'après Le chef d'oeuvre inconnu et La Peau de chagrin - de BALZAC
ainsi que la peinture de Patrice BALVAY
Extraits du Testament de B. dans le cadre de l'exposition After Frenopher, à l'école d'arts du Havre l'ESADHAR, 17.12.2015